Un
artiste
Quelques littéraires et oisifs
qui avaient l’habitude d’aller philosopher à la « Hostería de la Manzana de Adán » avaient leurs quartiers face à sa cheminée bien
fournie.
Une fois, par pure curiosité, je visitai cet
établissement.
Je me souviens que mon attention fut attirée par
un homme qui, d’un dédain aristocratique, semblait ne pas vouloir s’unir aux
autres.
La lumière vacillante d’un cierge l’éclairait en
plein visage, sur lequel elle peignait de longs traits d’or. Il était grand et
fin. Ces cheveux raides et sa barbe blonde lui attribuaient une certaine
ressemblance avec San Juan Evangelista. Mais ce qui m’impressionna le plus, ce
fut ses yeux, merveilleusement purs et bleus, remplis de douceur.
Il était peintre.
Cet homme était un artiste. Un véritable artiste.
Il parlait, d’une ferveur religieuse, de son art, de ses idéaux, comme un prête peut parler de son culte.
Malgré son immense savoir de l’histoire antique et
ses études byzantines notoires, ses efforts n’avaient pas été couronnés de
succès.
Maintenant, indifférent, il vivait sa vie
intérieure, sans se préoccuper de ce qui l’entourait. Il avait une grande
indulgence envers tous et son unique défense contre l’adversité et l’ennui
était de hausser les épaules.
Je regardais ses mains de vieil ivoire, épuisées,
qui reposaient sur la table. Ses fines lèvres tremblèrent un peu et il sourit
avec amertume.
Il se leva et me tendit la main. Il partait. Il me
dit qu’il s’appelait Diego Narbona et qu’il vivait là,
à côté.
Je restai seul à ma table.
Là-bas, plus loin, la cheminée murmurait son
triste chant.
La porte d’entrée s’ouvrit en grand, me sortant
brusquement d’un rêve tout juste entamé et une femme jeune et belle entra en
pleurant désespérément.
Son bras saignait.
- Encore ici ? gronda
l’aubergiste de mauvaise humeur.
Le plus jeune des poètes s’approcha d’elle.
- Il t’a encore frappée ? Dit-il.
- Oui… parce que j’ai laissé bruler l’omelette …
Je m’approchai. Il me semblait impossible qu’un
homme puisse maltraiter une femme aussi fragile…
Ah ! si mon ami le poète était là,. Comme il saurait la consoler ! De quelles douces
intonations de voix il la calmerait !
Compatissant, je m’approchai davantage encore.
En la voyant si belle, si
fragile, des idées de vengeances traversèrent mon esprit.
- Comment s’appelle votre mari ? grommelai-je.
Elle leva vers moi ses yeux clairs et bleus qui me
rappelaient deux autres yeux clairs et bleus, remplis de douceur et de pureté.
- Diego Narbona.- me
dit-elle.